Date de publication : 14 novembre 2025
Depuis une quinzaine d’années, la présence du numérique dans notre quotidien ne cesse de croître. Cette digitalisation généralisée permet aujourd’hui d’accéder à une multitude de services : se former, travailler, consulter un médecin, effectuer ses démarches administratives, consommer, se divertir… Autant d’activités désormais indissociables d’Internet et des outils digitaux.
La crise sanitaire de 2020 a considérablement accéléré cette tendance. Le numérique est devenu indispensable à la vie sociale, professionnelle et citoyenne. Cependant, cette dépendance accrue cache une autre réalité : malgré la multiplication des moyens de communication et d’échange, l’isolement social et physique s’accentue pour une partie de la population.
Ce constat est particulièrement vrai pour les personnes âgées, souvent éloignées du numérique, mais il touche aussi d’autres catégories de personnes. Selon une mission d’information du Sénat, environ 17 % de la population française n’a pas accès à Internet ou ne possède pas les connaissances nécessaires pour en faire un usage efficace. Ce phénomène, appelé illectronisme ou illettrisme numérique, touche également les personnes les moins diplômées, les plus fragiles, ou encore les foyers à faibles revenus.
Qu’est-ce que l’illectronisme ?
Le terme illectronisme désigne les difficultés — voire l’incapacité — qu’éprouve une personne à utiliser les technologies numériques, par manque de connaissances ou de compétences. Ce fléau se développe d’autant plus vite que les outils numériques évoluent sans cesse, bien plus rapidement que les dispositifs de formation destinés à accompagner leur usage.
Alors que les pouvoirs publics cherchent à dématérialiser au maximum les services administratifs, près de 11 millions de Français restent aujourd’hui mal à l’aise avec les usages numériques de base. Cette situation accroît les inégalités et renforce l’isolement d’une partie de la population.
La fracture numérique ne concerne pas uniquement les particuliers : dans le monde du travail aussi, elle se creuse. On estime que près de 20 % des salariés manquent des compétences numériques nécessaires à l’exercice de leur emploi, alors que 75 % des métiers requièrent désormais une maîtrise minimale des outils digitaux. Cette situation est préoccupante car elle impacte le quotidien professionnel des salariés, mais aussi les performances économiques et sociales des entreprises. La généralisation du télétravail n’a fait qu’accentuer ce déséquilibre.
Les causes de l’illectronisme :
Les causes de l’illectronisme sont multiples et souvent imbriquées :
L’absence de formation : la quasi-totalité des Français de plus de 40 ans n’ont pas eu la chance de pouvoir bénéficier d’une formation au numérique durant leur scolarité. Mais même des personnes de moins de 35 ans, nées sous l’ère digitale, sont concernées par l’illectronisme. Paradoxalement, de nombreux jeunes, nés avec ces nouvelles technologies sont à l’aise sur les réseaux sociaux ou les consoles de jeux, mais ont des difficultés dès lors que l’utilisation n’est plus ludique.
L’illettrisme : Les personnes illettrées sont particulièrement touchées, puisque plus de 90 % des contenus web reposent sur des textes. L’illectronisme se superpose alors à l’illettrisme, aggravant encore l’exclusion.
La précarité économique : pour pouvoir utiliser des outils numériques quotidiennement, encore faut-il avoir les moyens de s’équiper. Le budget des personnes à faibles revenus ne leur permet pas d’acquérir un ordinateur ou de posséder un abonnement à Internet. La précarité économique renforce l’exclusion numérique.
La fracture territoriale. Malgré les progrès du plan France Très Haut Débit, la couverture nationale reste inégale. Si plus de 80 % des foyers ont accès à la fibre optique, certaines zones rurales demeurent partiellement ou totalement non raccordées. Ces territoires, appelés zones grises ou zones blanches, concentrent une partie importante des publics en difficulté numérique. La principale difficulté réside donc dans l’accès à un équipement fiable et à un réseau stable.
Le manque d’équipement adapté. Certaines personnes ne disposent d’un accès à Internet que via leur téléphone mobile. Si elles utilisent le numérique au quotidien, leur usage reste limité et contraint : navigation difficile, absence de matériel pour les démarches administratives, impossibilité d’imprimer ou de stocker des documents.
Les « réfractaires ». Ce terme désigne ceux qui rejettent volontairement l’usage du numérique. Ils expriment souvent une méfiance envers les technologies, une peur du vol de données ou un désintérêt total pour Internet, désintérêt aggravé par un manque de maîtrise des outils ou d’un soutien pour leur venir en aide. Souvent âgés, ils préfèrent organiser leur vie sans recourir aux outils digitaux. Les retraités sont sur-représentés dans cette catégorie.
Les « décalés » désignent les personnes qui utilisent régulièrement Internet mais qui ressentent un décalage avec leur entourage concernant l’emploi de certaines technologies (utilisation de nouvelles fonctionnalités, partage de documents, etc..). Cependant ces personnes ne baissent pas les bras et elles souhaitent se former pour combler leurs lacunes et progresser.
Les conséquences de l’illectronisme :
Elles sont multiples et profondément humaines.
La première conséquence de l’illectronisme est la difficulté que rencontrent les personnes qui en sont victimes pour réaliser certaines démarches administratives. La dématérialisation croissante des services publics, rend plus complexe ces démarches. En France, près d’un adulte sur cinq abandonne une démarche numérique en cas de difficulté, et plus d’un tiers des plus de 70 ans ne se connectent jamais à Internet.
Cette situation entraîne une rupture du lien social. Les personnes non connectées s’habituent peu à peu à ne plus être informées et se détachent progressivement du monde extérieur, sans même en avoir conscience, dans le silence sans que cela soit ressenti comme un manque de leur part.
Autre conséquence : la vulnérabilité face aux arnaques. Les fraudeurs profitent de la méconnaissance des internautes novices pour multiplier les escroqueries : faux sites administratifs, courriels d’hameçonnage (phishing), usurpations d’identité, fausses factures… Ces pièges numériques ciblent particulièrement les publics fragiles.
Au-delà des aspects pratiques, l’illectronisme engendre une perte d’autonomie, un sentiment d’échec et une baisse de confiance en soi. Il constitue ainsi une forme moderne d’exclusion, aussi réelle que l’exclusion sociale ou économique.
Alors comment rendre accessible à tous, le monde numérique ?
Des solutions peuvent être mises en place pour rendre le monde numérique accessible à tous.
Pour lutter efficacement contre l’illectronisme, il convient tout d’abord de repérer les personnes concernées, ce qui n’est pas toujours simple. Comme pour l’illettrisme, les personnes touchées ressentent souvent de la honte et cherchent à dissimuler leurs difficultés.
L’État a renforcé son action en matière d’inclusion numérique. Un vaste plan de soutien, doté de 250 millions d’euros, a été lancé dans le cadre du plan de relance, avec pour objectif de former et d’accompagner les publics éloignés du numérique. Plus de 2 800 Maisons France Services maillent aujourd’hui le territoire et proposent un accompagnement de proximité. Les associations et médiateurs numériques jouent également un rôle clé : ils se déplacent sur le terrain pour aider les « naufragés du numérique » à retrouver une autonomie.
Certaines initiatives militent aussi pour le maintien d’une alternative papier dans les démarches administratives, afin de garantir l’égalité d’accès aux services publics.
Enfin, pour les réfractaires, le soutien des aidants familiaux ou de proches (enfants, voisins, bénévoles) reste souvent le levier le plus efficace.
L’importance des compétences numériques dans les entreprises
Dans le monde professionnel, la maîtrise des outils numériques est devenue incontournable.
On estime aujourd’hui que trois quarts des emplois exigent une bonne connaissance des outils digitaux, qu’il s’agisse de bureautique, de communication ou de gestion de données.
Savoir utiliser les outils digitaux n’est pas inné pour tous les salariés. S’équiper en matériel performant ne suffit donc pas : encore faut-il que les collaborateurs soient accompagnés et formés. Car même avec les outils les plus avancés, les résultats ne suivent que si la compétence nécessaire à leur utilisation est présente.
Une entreprise doit constamment chercher à renforcer les compétences numériques de ses salariés en mettant en place des formations adaptées. Ces formations doivent leur permettre de s’approprier les outils, d’acquérir les connaissances nécessaires ainsi que le savoir-faire spécifique à chaque métier.
La formation doit aussi s’appuyer sur un accompagnement humain, essentiel pour faciliter l’acquisition des connaissances et des usages. Cet accompagnement permet d’échanger sur les difficultés de chacun et d’observer les progrès.
Former, c’est aussi valoriser les salariés, réduire les inégalités et renforcer la compétitivité collective. L’inclusion numérique en entreprise est donc à la fois un enjeu économique et social.
En résumé, la clé, c’est la formation — continue, accessible et adaptée à chacun.
Conclusion
Le numérique a considérablement et durablement transformé notre société. Véritable levier de progrès, il peut aussi devenir un facteur d’exclusion lorsqu’il n’est pas maîtrisé.
L’illectronisme touche aujourd’hui toutes les catégories sociales et tous les âges, et représente un défi majeur pour la cohésion sociale.
Garantir l’inclusion numérique, c’est garantir l’égalité d’accès aux droits, à l’information et à la citoyenneté. Le défi n’est donc pas seulement technologique, mais profondément humain.